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  • VITRAIL & ALCHIMIE

  • Vitrail & Alchimie

    (Tout ce que vous pourrez lire dans ce chapitre est essentiellement inspiré des recherches et réflexions du maître verrier Bruno Tosi)

     

    Artisanat, artisanat d’art, art sacré… voilà qui augure la difficile tâche qu'est de définir le vitrail.

    Ce que l’on sait, c’est ce que le vitrail existe depuis plus de 1 000 ans et qu’il dure dans le temps! Certaines pièces d’époque sont encore aujourd’hui extrêmement bien conservées.

    le Christ de Wissembourg représentant la tête du Christ (que pouvez voir dans le paragraphe intitulé "présentation") est le plus ancien vitrail figuratif intact du monde (dans les environs de 1060).

    C’est donc, appelons le pour l’heure un médium, pérenne. Il veut et peut durer dans le temps.

    La technique du vitrail dite traditionnelle a, à cet égard, très peu évolué. Le verre, le plomb et plus tard la grisaille, les céments, (jaune d’argent, rouge de cuivre) et émaux restent les bases principales pour la réalisation d’un vitrail. Il y a bien sûr aujourd’hui d’autres techniques tels que le Tiffany, la dalle de verre, le Fusing, le verre thermoformé… mais l’attachement aux techniques ancestrales semble bien ancré.

    Cependant, la substance principale du vitrail nous interroge. Est-ce le verre ou la lumière?

    Un vitrail sans lumière n’est rien. Il est terne, illisible voir insensé… c’est la lumière qui va lui donner vie, le révéler. D’un point de vue ontologique, nous pourrions, comme le dit Denis Marquet, faire l’analogie avec l’être humain. Sans lumière, il n’est rien, semblable à tous mais dès qu’il se laisse traverser, il se singularise, se sublime, nous raconte sa propre histoire.

     

    Le vitrail a certes dans les premiers temps servi de protection contre les intempéries (jouant le rôle de nos fenêtres d’aujourd’hui), mais très vite il a su revêtir sa vocation symbolique.

    Les représentations figuratives, et de fait religieuses (au moins jusqu’à la renaissance) avaient pour but, comme on l’entend souvent, de transmettre l’enseignement biblique au plus grand nombre et notamment à celles et ceux qui n’avaient pas accès à la lecture. Ce que l’on entend moins souvent, et ce que certains historiens nous offrent à penser, est que ces mêmes images permettaient, même aux plus érudits, d’accéder à une compréhension symbolique inaccessible à leur simple intellect.

    Les différents degrés de lecture de la Lectio divina proposés par les grands dogmes de la foi chrétienne sont présentés ainsi :

    - Littéral, qui est issu de la compréhension linguistique de l’énoncé.

    - Allégorique ou typologique, énonçant une chose qui en dit aussi une autre.

    - Tropologique ou Moral, étapes que l'esprit humain doit parcourir dans son ascension vers Dieu (concerne le présent).

    - Anagogique, qui donne une idée des réalités dernières qui deviendront visibles à la fin des temps (concerne l'avenir).

     

    Denys l'Aréopagite est un auteur Grec de traités chrétiens et de théologie mystique. Il est l'une des sources majeures de la spiritualité mystique chrétienne et semble avoir énormément influencé le courant de la mystique de la théologie médiévale. Il combine magistralement doctrine chrétienne et néoplatonisme.

    Dans son traité sur la hiérarchie céleste, il nous envoûte par ses réflexions sur l’ineffable.

    « Au reste, si l’on revêt de corps et de formes ce qui n'a ni corps ni formes, ce n'est pas seulement parce que nous ne pouvons avoir l'intuition directe des choses spirituelles, et qu'il nous faut le secours d'un symbolisme proportionné à notre faiblesse, et dont le langage sensible nous initie aux connaissances d'un monde supérieur ».

    « Du reste la théologie mystique, comme on sait, n'emploie pas seulement ce langage saintement figuratif, quand il s'agit des ordres célestes, mais aussi quand elle parle des attributs divins. Ainsi, tantôt voilée sous les plus nobles substances, la divinité est le soleil de justice, l'étoile du matin dont le lever se fait au fond des cœurs pieux, ou la lumière spirituelle qui nous enveloppe de ses rayons : tantôt, revêtant de plus grossiers symboles, c'est un feu qui brûle sans consumer, une eau qui donne la vie à satiété, et qui, pour parler en figure, descend en nos poitrines, et coule à flots

    intarissables, tantôt enfin, déguisée sous des objets infimes, c'est un parfum de bonne odeur, c'est une pierre angulaire. Même les Écritures la présentent sous des formes animales, la comparant au lion, à la panthère, au léopard et à l'ours en fureur. Mais il y a quelque chose qui pourrait sembler plus injurieux et moins exact encore : c'est que le Seigneur s'est nommé lui-même un ver de terre, comme l'enseignent nos maîtres dans la foi. »

     

    Hugues de Saint Victor (philosophe, théologien et auteur mystique du Moyen Âge), quand à lui, distinguait trois étapes dans la façon qu'un symbole :

    Cogito « je pense » : exploration du monde perceptible en s'appuyant sur la pensée abstraite,

    Meditatio « je médite » : retour introspectif de l'âme sur soi-même,

    Contemplatio « je contemple » : intuition de la vérité.

     

    Le vitrail, en partie pour les raisons évoquées plus haut, peut-être perçu comme un pont qui articule deux mondes pour les unir. Un médiateur, une passerelle qui relie le Ciel et la Terre, Dieu et les Hommes.

    L’étymologie du mot symbole va dans ce sens. Même si le symbole peut être énigmatique, il porte en lui la promesse d’une unité restaurée à l’inverse de « diabolos », qui suscitera confusion et division.

    Pour poursuivre dans la lecture métaphorique du vitrail, la lumière du ciel, divine, permettrait à l’homme d’accéder à la compréhension, à la connaissance.

    Malgré cette vocation, les vitraux pouvaient se trouver à des distances inaccessibles pour la faible vison d’un homme ordinaire. Nous pourrions y voir la volonté du pouvoir religieux souhaitant d’une part éduquer le peuple tout en lui signifiant qu’il ne peut accéder par lui-même à Dieu.

    Les autorités de sens et religieuses perdant aujourd'hui leur omnipotence, l’homme semble appeler à constituer son lien direct, sa relation privilégiée avec le divin mais comment intégrer, réintégrer ce lien sans structure extérieure? C'est probablement l'un des sens spirituels du paradigme de l’individualisme. Il faut bien lui en trouver un! Ce qui aurait pour conséquence, un accueil sans condition de la vision religieuse de son prochain : Avoir soif de la différence de l’autre et la laïcité prend tout son sens.

     

    « Si nous avions tous les mêmes opinions religieuses, il n’y aurait pas de religions.

    Dès qu’une religion apparaît, elle se brise en morceaux.

    La religion suit un processus selon lequel elle ne cesse de se partager

    jusqu’à ce que chaque homme possède sa propre religion,

    jusqu’à ce que chacun ait ses propres pensées et forge sa propre religion »

    Swami Vivekananda

     

    « j'ai placé mon arc dans la nue, et il servira de signe d'alliance entre moi et la terre ». Genèse 9:13

    Belle métaphore pour représenter l’alliance qui nous unit à ce grand autre.

    Les orientaux y voient le pont qu’emprunte Dieux et Héros pour se joindre à notre monde.

    l’Arc-en-ciel porte en lui l’infini des couleurs et forme une passerelle qui unit deux mondes. Même si il est perceptible, Il reste immatériel. Nous pourrions dire que Le vitrail de part ses propositions de couleurs et sa vocation d’émissaire joue ce même rôle sur un plan matériel. Il devient donc à cet égard, pour nous simples mortels, un objet concret et accessible, un pont entre la matière et l’esprit, une pierre philosophale permettant la transmutation et nous ouvrant la porte des Dieux.

     

    Le vitrail au delà de la lumière est, matériellement, essentiellement constitué de verre.

    Il est difficile de réellement parler d’Art du feu pour ce qui est du vitrail (excepté pour la cuisson de la peinture) mais pour ce qui est de la fabrication du verre, aucun doute!

    Le verre est une transformation du sable chauffée à très haute température (disons entre 1 000 et 1 700°C). Les couleurs de verre obtenues dans la masse, s’obtiendront quand à elles par l’ajout de différents oxydes ( ex : oxyde de cobalt pour le fameux bleu de Chartres).

    Le moine Theophilus Presbyter nous livre dans « De arte vitriaria », deuxième livre du traité sur les métiers « Schedula diversum artium » (rédigé dans le premier quart du XIIe siècle), des éléments d’une richesse incroyable sur la technique de fabrication des vitraux utilisée à l’époque

    Nous pouvons voir dans l’obtention du verre, un véritable processus alchimique. En tant que vitrailliste, nous travaillerons donc avec un matière alchimisée. Les Souffleurs de verre sont sans contexte de véritables alchimistes! Les Maitres verriers de l’époque fabriquaient d’ailleurs eux-mêmes leurs verres. Le processus était pleinement assumé par le Maître Verrier du début à la fin. Il faut cependant savoir que le vitrail a été pendant longtemps une véritable industrie avec des maitres de chantiers, des ouvriers à la chaine…

    A noter que le verre existe à l’état naturel depuis des centaines de milliers d’années sous différentes formes :

    - l'obsidienne, un verre volcanique naturel riche en silice se formant auprès des volcans.

    - Les fulgurites produites par un impact de foudre, généralement sur le sable.

    - les tectites, billes de verre formées par des impacts avec des météorites.

    Fascinés par ce matériau, les hommes l'utilisaient déjà il y a 100 000 ans avant notre ère pour façonner armes et ornements.

    Ces verres naturels procèdent de la même manière qu’un verre fabriqué, une matière silicieuse transformée par un échauffement extrême.

    Pour rester dans une lecture symbolique, les philosophes grecs analysaient le monde à partir de quatre éléments (ou quatre qualités élémentales)

    « Connais premièrement la quadruple racine

    De toutes choses : Zeus aux feux lumineux (feux),

    Héra mère de vie (air), et puis Aidônéus (terre),

    Nestis enfin, aux pleurs dont les mortels s’abreuvent (eau).»

    Empédocle (vers 460 av. J.-C.)

     

    Aristote y ajoutera un cinquième élément qu’est l’Ether et Luc Besson, Milla Jovovich.

    Pour les chinois, l’air n’est pas considéré comme un élément mais le bois et le métal, oui.

    Partant de ce principe, nous pourrions percevoir le verre comme une « Materia Prima » chère aux alchimistes, alliance du Feu et de la Terre. Nous pourrions même y ajouter l’élément air pour le verre soufflé (certains Maîtres-verriers ne veulent d’ailleurs travailler qu’avec du verre soufflé), et l’Ether pour la lumière. Nous manquerait alors l’Eau pour obtenir un condensé du monde dans le vitrail… mais ne renonçons pas si vite. Nous irons trouver cet élément manquant dans le mythe de Narcisse.

    Le verre à priori peut paraître une matière ingrate, résistante, coupante mais bien apprivoisé, il nous offre clairvoyance, structure, protection, contenance…

    Comme nous le rappelle Bruno Tosi, dès son invention, le verre va aider l’Homme à voir mieux et plus loin (loupe, miroirs, lunettes, microscopes, télescopes). Il serait bien sûr dommage d’oublier, les pendules, les boules de cristal comme outils de clairvoyance. Il est intéressant de voir, de part ses propriétés, comme le verre permet un meilleur discernement du monde.

    A ce propos, nous ne percevons qu’1% des ondes de couleurs. C’est dire comme le monde qui nous entoure est bien plus vaste que nous l’appréhendons.

    Les anciens étaient persuadés que le vitrail offraient des soins chromothérapeutiques. Ils invitaient d’ailleurs les fidèles à trouver la guérison grâce à la couleur dégagée par les vitraux, telle couleur étant plus propice pour tel soin. Ces mêmes couleurs, rappelons le sont obtenues grâce à différents minéraux. Si nous résumons, entre le lumière (luminothérapie), les couleurs (chromothérapie) et les minéraux (lithothérapie), le vitrail est un guérisseur holistique à lui tout seul. je ne veux pas faire de concurrence déloyale mais un bon shoot de vitraux dans une cathédrale et voilà de belles économies en perspective!

    Et si l’on est attentif, il est vrai que quelque chose de particulier s’opère lorsque l’on baigne dans la lumière d’un vitrail.

    Une simple promenade dans une cathédrale pourraient s’apparenter à un voyage initiatique, un pèlerinage alchimique. Chaque direction et ses représentations analogues joueront leur rôle dans ce processus du Grand Oeuvre :

    • au Nord, les scènes de l’ancien testament seront représentées,
    • à l’Est, les scènes de la vie du christ où apparaît la lumière du jour,
    • au Sud, ce qui advient après la vie du Christ, les disciples, les apôtres…,
    • et à l’Ouest, généralement les scènes de l’apocalypse ou du dévoilement.

    En une visite, ce voyage intérieur, nous permet de parcourir l’intégralité de la révélation.

     

    Concernant les couleurs, il y a pléthore de traités sur la question et malgré tout, elles n'ont pas fini de nous révéler leurs secrets. Nous ne sommes bien sûr pas à l'abri de contradictions au sein d’une même culture et d’un pays à l’autre, les divergences d'interprétation sont parfois radicales. Une fois n'est pas coutume mais s’ouvrir à ses propres ressentis en observant ce que la couleur a à nous raconter me paraît être une des meilleures portes d'entrée pour les apprivoiser.

     

    Dans l’ancien testament, on peut lire que le verre était aussi précieux que l’or.

    En hébreu le mot qui désigne le verre se prononce zkhourhit et a pour étymologie le mot Hébreu voulant dire pur.

    Pour rentrer donc plus précisément dans notre propos, l’alchimie distingue en général trois grandes étapes pour la réalisation du Grand Oeuvre (l’oeuvre au noir, l’oeuvre au blanc et l’oeuvre au rouge). Nous verrons qu’il en va de même pour le vitrail et probablement pour nos chemins de vie.

    Le but ultime de l’Alchimie n'étant pas la transformation du plomb en or, mais la transmutation profonde de l’homme.

    Jung nous rappelle que le Grand Œuvre préfigure le chemin de développement de l'âme humaine au sein des mondes de matière. L’œuvre alchimique est inséparable de la propre transmutation de l'opérant.

    L’art du verre et le vitrail deviennent une des voies possibles de transmutation.

    Les traités des alchimistes décrivent les différentes phases du Grand Oeuvre en employant de nombreuses métaphores et allégories et il est difficile d’en faire une saine synthèse.

    J’aborderai donc ce sujet en toute simplicité.

     

    l’Oeuvre au noir

    Correspond à l’intégration de mon ombre. Je ne lutte plus pour être un autre. Je dis oui à ma vie, à ma condition, à mon fardeau. Je comprends qu'il est mon "précieux", ma materia Prima. Sans elle, rien de possible. C’est ma matière brute indispensable pour opérer le grand oeuvre. Le lieu qui appelle la lumière. De là, je peux mourrir à ce que je crois être pour m'ouvrir à l'inconnu, au mystère et me laisser engendrer. Mon mental retrouve la clarté de l'enfance et se libère des conditionnements et tout redevient possible.

    A l’instar du vide existentiel, le noir appelle les couleurs, sans noir, pas d’élévation, de transformation, d’alchimie. La vierge noire est le symbole de cet être qui a dit OUI et qui est prêt a être engendré.

    Pour notre comparaison, nous pourrions faire le lien avec le sable qui porte en substance ce qu’il va devenir (du verre pur) mais qui l’ignore encore, tant qu’il n'est pas passé par le feu. C’est de la glaise que naîtra Adam.

     

    l’Oeuvre au blanc

    Libéré de mes entraves, je découvre que ma condition ne reflète pas ma nature. Mes yeux s'ouvrent et mon coeur s'apaise. Le voile se déchire et ma matière se vide de l'illusion. Elle a été consumée et peux recevoir le nouveau. Je me vois tel que je suis et je vois mon prochain tel qu'il est. Je rentre en humanité. Je vois Dieu dans mon prochain et comprends que pour connaître le créateur, je dois connaître chaque créature.

    Pour revenir au vitrail, nous pourrions ici parler de la phase de purification du verre qui le rend transparent. Le sable a été cuit et purifié grâce au feu sacré.

     

    l’Oeuvre au Rouge

    Ici, c’est le retour au monde. Le moi conditionné s’est pleinement retiré et je me laisse pleinement traverser par la lumière. l’Esprit est incarné. Je suis dans le monde mais pas du monde. Je comprends que le blanc et le noir sont indissociables. Nous rentrons dans l’ère de l’androgynie intérieure (l‘alliance du souffre et du mercure, du soleil et de la lune, du principe masculin et féminin). L’union sacrée est en oeuvre et nous assistons à l’accouchement d’un monde jusque lors encore inconnu. Dieu se fait chair et l’unique que nous sommes devient universel.

    C’est ici, que le vitrail sera réalisé, que nous unirons les éléments, pour en façonner une oeuvre a part entière, unique, symbole de notre singularité. Le vitrail devient une pierre philosophale traversé à son tour par la lumière.

     

    On peut observer que le sertissage d’un vitrail (opération indispensable dans le vitrail traditionnel pour unir les pièces les unes avec les autres) se fait avec des baguettes de plomb, glorification de notre Materia prima et qu'il fait appelle aux deux hémisphères du cerveau pour sa réalisation.

    Nous pourrions également faire l’analogie avec le soufisme comme nous l’enseigne le poète Rumi : « j'étais cru, je fus cuit, j'ai brûlé ».

    Le langage des oiseaux (indissociable de l’alchimie) peut également rapidement être abordé. Il s’agit de faire chanter le mot au delà de son sens propre. Le verre peut alors devenir : « vers » (direction et poésie), « vert », « ver », « vair » (héraldisme).

    Nous pouvons également jouer avec les anagrammes. Verre devient alors « rêver » et verres « sevrer », « revers » ou encore bien « verser ». Voilà de quoi poétiser…

     

    Concluons avec cette allégation de la Table d’émeraude (un des textes les plus célèbres de la littérature alchimique et hermétique présentant l’enseignement de Hermès Trismégiste):

    « Ce qui est en bas, est comme ce qui est en haut & ce qui est en haut, est comme ce qui est en bas, pour faire les miracles d'une seule chose. »