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  • LE MYTHE DE NARCISSE

  • Le Mythe de Narcisse

     

    Les verriers n’ont pas hésité à s’attribuer plusieurs Saint-Patron :

    - Saint-Laurent : Martyr brulé sur un lit de fer sous lequel des charbons ardents avaient été déposés.

    En mémoire de ce sacrifice humain, les verriers (qui se servent du feu pour créer le verre) ont décidé, d’en faire leur protecteur

    - St Clair : On peut deviner pourquoi

    - St Marc : Probablement parce qu’il est aussi le Saint-Patron des Vénitiens. De Venise au Verre Murano, il n’y a qu’un pas.

     

    Partant du principe que les métiers ont leur Saint-Patron et qu’en plus de cela les Verriers ont carte blanche pourquoi ne pas également leur attribuer un mythe fondateur. La figure de Narcisse me semble être un bon écho à l’essence du vitrail pour plusieurs raisons. Parce que c’est un mythe qui nous parle de transformation profonde, de connaissance de soi, de transparence, de révélations et du reflet de notre être véritable. De ce qui nous est donné de voir en vérité. Le miroir (essentiellement composé de verre, d’argent, de cuivre ou de plomb) n’est pas sans rappeler la composition d’un vitrail et l’analogie avec le reflet de Narcisse dans la fontaine est limpide. C’est un mythe de l’image.

    L’occasion pour moi d’introduire la suite (que vous pourrez lire dans l’onglet intitulé « Le Tarot du Très-Bas) et d’illustrer ce processus alchimique au travers du vitrail. Le regard passionné de Luc Bigé nous offre une interprétation éclairante et lyrique sur le mythe de Narcisse qui va au delà d’un lecture psychanalytique.

    Tout d’abord rappelons qu’un mythe est bien plus qu’une histoire, qu’une description. C’est une mémoire symbolique qui parle à notre être profond. C’est un langage sibyllin que nous pouvons simplement laisser raisonner en nous et pour cela, nous pouvons faire confiance à l’intelligence de notre inconscient. Comme dans un rêve, tous les personnages d’un mythe parlent du sujet principal et si nous nous reconnaissons dans tel ou tel mythe, ils parlent de fait de nous-même. Le mythe n’a pour ambition que de nos éclairer, clarifier le chemin initiatique que nous pouvons emprunter pour nous révéler. Il va au delà du complexe (complexe d’oedipe, de Narcisse…). Le complexe n’étant rien d’autre qu’un mythe qui s’est arrêté en cours de processus. Nous pourrions donc supposer que notre humanité s’est arrêtée dans sa lancée, elle complexe à fond!

     

    Narcisse en quelques lignes :

     

    Liriopée est une nymphe d’une couleur bleu azurée. Elle se promène dans une magnifique nature lorsqu’il il lui prend l’envie de se baigner dans un fleuve, le Céphise. Ce dieu-fleuve ne pouvant résister à son charme l’enroule de ses flots et la violente. Narcisse naîtra 9 mois plus tard. Soucieuse dès sa naissance pour son avenir, Liriopé va voir le devin Tiresias pour savoir si une longue vie attend Narcisse. Il lui répondra « oui si il ne se connait pas » ou traduit autrement, « oui, si il ne se voit pas ».

    Narcisse est extrêmement beau et entouré d’amours mais il semble insensible à toutes ces propositions. Il n’arrive pas à se laisser toucher par l’amour. Il refuse l’amour des autres.

    L’orgueil de Narcisse est si farouche que pas une nymphe ne parvient à toucher son cœur.

    Ameinias, un soupirant, n’y arrivera pas non plus. Narcisse refusera son présent qui n’est autre qu’une épée. Ameinias retournera le cadeau contre lui et se percera le coeur.

    Narcisse reste inconscient du mal qu’il peut générer.

    A 16 ans, alors qu’il part à la chasse au Cerf, Il se perd.

    Echo, une nymphe également éprise de Narcisse tentera d’en profiter pour le séduire. A cause d’une punition divine causée par le mauvaise usage de sa parole, Echo ne sait dorénavant que répéter les dernières paroles de son interlocuteur. Echo ne sait pas parler la première. Ses tentatives et ce langage de sourd n’engendreront une fois de plus que rejet de la part de Narcisse « Je préfère mourir, dit-il, que de m’abandonner à tes désirs ».

    La nymphe, rejetée, s’enfoncera dans les bois et se desséchera. Ses os ont pris, dit-on, la forme d’un rocher et sa voix continue de se faire entendre à tous ceux qui l’appellent.

    Narcisse se retrouve alors dans un lieu jamais atteint par la lumière, vierge de tout contact ou se trouve une fontaine. Il veut y éteindre sa soif, mais il sent naître dans son cœur une soif plus dévorante encore. Il y voit alors son reflet et s’immobilise tel le marbre de Paros devant tant de beauté et de charmes. Il tombe éperdument amoureux de cette image.

    Plus rien ne peut l’en arracher, ni la faim ni le repos.

    Il n’y a entre eux ni vastes mers, ni longues distances, ni montagnes, ni murailles fermées de portes ! Juste un peu d’eau les sépare mais dès qu’il cherche à se saisir, l’eau se trouble.

    Il brûle d’amour de plus en plus pour lui-même. Sa flamme est ardente, il découvre l’amour et réalise que ce qu’il désire est en lui : « c’est pour trop posséder que je ne possède rien ».

    Ses larmes troublent alors la limpidité des eaux, et l’image s’efface. Il s’éteindra lentement desséché par l’amour et consumé par le feu secret qu’il nourrit dans son âme.

    « Je voudrais que l’objet de ma tendresse pût me survivre, mais unis dans le même corps, nous ne perdrons en mourant qu’une seule vie»

    Même lorsqu’il descendra dans le Styx (point de passage des Enfers), il continuera de se contempler dans le fleuve. Au moment de passer sur le bûcher par les nymphes, Narcisse sera transformé en une fleur jaune, couronnée de feuilles blanches au milieu de sa tige, le Narcisse.

     

    Nous pourrions donc appréhender ce mythe avec un regard psychanalytique mais qui nous révélerait davantage son complexe que son essence.

    L’approche symbolique nous offrira une vision bien plus dense et encheteresque. L’intérêt d’une telle lecture et de faire le lien avec sa propre histoire afin de mieux identifier quel pourrait être notre mythe fondateur pour l’accomplir et s’en affranchir.

     

    Narcisse est donc un adolescent, incapable de rentrer en relation amoureuse malgré toutes ces sollicitations. On peut imaginer que sa mère de nature inquiète est très présente et possessive et qu’il a dû mal à s’en affranchir. Amenais représente l’amour victimaire, destructeur qu’on rencontre dans les relations victime-bourreau. Echo, quand à elle incarnera les amours fusionnels où l’un des deux est toujours nié. Narcisse séduit autant les hommes que les femmes… Et malgré tout il reste insensible à ces multiples propositions. Soit, il a trop peur et ne veut pas se risquer aux péripéties de l’amour, soit, il sent qu’un autre amour l’appelle. Narcisse dénouera les pouvoirs que les amours « déviants » auraient pu avoir su lui.

    La naissance ne Narcisse est le fruit d’un viol. Nous pourrions simplement y voir une blessure intra-utérine qui poursuivra Narcisse dans son parcours mais y voir la violence que peut représenter l’incarnation pour notre âme sonne à mes oreilles plus juste. Car Narcisse est dans ce refus d’incarnation. Il va lui falloir beaucoup de courage pour naître au monde. Il ne se laisse pas toucher par l’amour. Il est à un âge d’entre deux où il n’est pas encore pleinement affirmé dans sa maturité sexuelle. De ce fait, Narcisse est souvent représenté avec des traits androgynes, nostalgie de ce temps asexué.

    A 16 ans, ils part à la chasse au cerf, animal symbolisant la connaissance de soi (l'emblème du cerf est l’arbre de la connaissance qu'il porte sur sa tête), mais Narcisse se perd. Il ne va pas pouvoir attraper cette connaissance car nous le verrons dans le suite du mythe, la connaissance ne se saisit pas. On ne peut pas en faire un trophée. L’idéal spirituel est le meilleur obstacle pour notre réalisation spirituelle. Le mythe l’oblige à abandonner les siens. Ce qu’il chassait avec les autres, n’est pas sa vraie chasse, sa vraie quête, sa véritable anima (ce qu’il anime). Avant, Il suivait le groupe, maintenant il va pouvoir se laisser surprendre.

    Il se retrouve donc seul, il n’a plus personne. L’initiation commence car la solitude entame sa descente. il n’est plus diverti par les sollicitations extérieures. C’est cette expérience de la solitude qui va le transformer.

    La nymphe Echo fait alors son apparition et voudra fusionner avec Narcisse mais le mythe nous dit, non, non surtout pas. Narcisse la rejettera. En rejetant Echo, nous pouvons sentir que ce que Narcisse rejette, c’est la répétition. Il veut sortir des schémas. Nous pouvons « faire l’écho » avec ce qui nous est répété en boucle dans les médias ou encore nos bavardages intérieurs ou schémas de pensée qui tournent en rond. Le silence l’appelle!

    Nymphe signifie, celle qui est voilée. Tout ce qui est voilé appelle au dévoilement et Echo aussi est appelée a devenir Femme (son ymen n’a jamais été franchie ). Le voile de Narcisse, c’est son miroir. Il devra le franchir, se donner et se dévoiler (ce qu’il a beaucoup de mal à faire) pour changer de plan de conscience et devenir un homme.

    C’est ensuite qu’il arrivera sur cette terre vierge ou se trouve la fontaine. Nul n’y est encore allé, même la lumière ne l’a jamais atteinte. Ce lieu renvoie à notre espace intact, préservé, intègre que le monde n’a pu souiller mais que nous devons reconnaître pour y prendre refuge. Dans ce lieu, nul place pour le connu. Ici, c’est sans trace, sans mémoire. Le mythe de Narcisse nous dit qu’il faut nous seulement se perdre mais aussi abandonner sa mémoire.

    C’est une épreuve terrible pour Narcisse, simplement par ce qu’il est un être de mémoire, c’est pour cette raison que l’eau est si présente dans le mythe. L’eau est mémoire, elle conserve tout des endroits où elle circule. Entrer dans un lieu sans mémoire, c’est ne rien savoir de ce qui va être, c’est être disponible à l’instant.

    Narcisse a soif mais de quoi a-t-il soif exactement? On commence à avoir soif dès lors que l’on contacte au fond de soi un manque. La conscience du manque nous met en mouvement d’où la nécessite de le rencontrer.

    Narcisse va alors traverser sa souffrance et mourrir à ses représentations. C’est une plongée dans le mystère de qui il est. Narcisse d’ailleurs n’arrivera pas à saisir son image car rien ne peut définir qui nous sommes. Plus, il essaiera, plus son image deviendra floue.

    C’est là que Narcisse comprend que le monde extérieur n’est que le reflet de son intérieur. Il ne se sent plus séparé du monde extérieur. il ne le subit plus.

    Contrairement à Sartre (l’enfer, c’est les autres), Narcisse comprend que ce qu’il voit dans le monde, c’est son intérieur projeté. Le monde est miroir de moi même. L’enfer n’est plus les autres. Les autres deviennent une bénédiction pour aller à la rencontre de moi-même. L’autre devient une grâce.

    Tout ce qu’il percevra dorénavant sera d’une infinie richesse.

    Narcisse ne se regarde pas dans un miroir tel que nous les connaissons. Ici nous y voyons la profondeur des eaux et les étoiles du ciel.

    Lorsque il se contemple, il voit des étoiles dans ses yeux. Ils commence à se voir tel qui l’est, à se rappeler d’où il vient. Il rentre dans sa dimension ontologique, il voit sa lumière. A partir de là, le retour en arrière n’est plus possible.

    Son reflet lui offre également à se contempler avec une chevelure digne de Bacchus (Dionysos en grec). Le dieu du vin, de l’ivresse. La Chevelure représente l’énergie vitale. Il voit la puissance féminine qui ondoie dans sa nature profonde.

    Avec ces yeux et cette chevelure, Narcisse éveille en lui conscience et énergie. Sa conscience s’élargie et l’engagement dans le vivant est plus puissant que la peur de sa propre souffrance.

    Narcisse se contemplera immobile tel du marbre de Paros. Son désir de vérité sera plus fort que la faim et la soif car il en mourra. Il sera aussi ferme et solide que de la pierre, déterminé à regarder à l’intérieur de soi et à laisser surgir sans rien saisir, sa souffrance, ses angoisses de mort. .. Quand on ne fait rien, tout se passe. Il n’y a rien à faire nous dit le mythe. Toutes les batailles sont futiles. La découverte du vrai soi se fait sans combat. C’est le début de l’éveil.

    A ce moment, il pourra poser sa tête sur l’herbe verte. Il pourra mourrir.

    Même l’âme rendue, Narcisse continuera de se contempler dans le Styx (dans la mythologie grecque, le Styx est l'un des fleuves et points de passage des Enfers). Il osera regarder ses ténèbres, les recoins de son âme les plus durs, les choses les plus inavouables, mais l’appel est trop fort, il veut voir ce qu’il y a au delà parce qu’il veut aller au bout de son narcissisme. Il veut toucher ce qu’il y a d’unique en lui pour devenir universel.

    La prophétie de Tiresias s’est réalisée. Narcisse s’est vu (entendons-nous le dans sa vérité) et il en est mort. Narcisse s’est vu, il s’est connu, il s’est aimé.

     

    Le mythe de Narcisse nous parle d’accouchement, de naissance à soi-même. Narcisse Reçois un baptême intégral, il part à la découverte de son vrai nom, de son nom secret. De Narcisse à Narcisse. Soit l’on reste dans sa condition d’endormi (c’est le rôle que joue les narcoleptiques), soit on va au bout de qui l’on est..

    L’humanité est l’expression la plus visible du mythe de Narcisse car toutes les âmes rentrent par une épopée narcissique.

    En étant infiniment et authentiquement spécifique, nous allons au bout de notre singularité, de notre unicité, dans le noyau de notre ADN où siège l’humanité tout entière. Ici l’oeuvre devient universelle.